to top

La mode et l’image au service de l’identité

Il faut aider les enfants atteints de cancer à conserver leur dignité et à construire leur identité en dehors de la maladie. Il faut remettre entre leurs mains la maîtrise de leur apparence et de leur image.

Pourquoi ? Parce que cela participe grandement à leur chance de guérison ! Conserver un peu de contrôle sur soi, sur qui l’on est et sur ce que l’on veut montrer de soi permet de garder un esprit plus fort, plus solide et d’avoir donc plus de ressources pour combattre le mal qui ronge le corps.

Grace aux Ateliers Bulle de Mode, les enfants peuvent choisir des vêtements qualitatifs, faire aussi le choix de les customiser selon leurs goûts ou les faire adapter à leurs besoins. Ils peuvent se sentir mis en valeur dans ces vêtements qu’ils ont choisis et qui respectent en même temps leur confort et leur dignité.

Quant à la photographie, elle est un outil miroir qui permet d’entrer en conversation avec son image.

Durable et transmissible, elle imprime le réel dans l’éternel. Elle accompagne la perte, le changement, elle célèbre l’inclusion et la résilience.

« Pour l’être humain, les altérations du schéma corporel ne sont psychiquement supportables que si son narcissisme est sauvegardé » 

Françoise Dolto.

Fabrice Gzil

Professeur de l’EHESP, Directeur adjoint de l’Espace éthique Île-de-France, membre du CCNE

Le cancer constitue ce que l’on pourrait appeler une « épreuve intégrale ». 

C’est une épreuve pour le corps, menacé de morcellement par les tumeurs, les métastases et les effets secondaires des traitements. C’est aussi une épreuve pour la psychè, menacée d’écroulement, par une maladie qui altère et fragilise le schéma corporel, l’estime de soi et jusqu’à l’identité personnelle. Épreuve intégrale, donc, parce que, du corps et de la psychè, le cancer pénètre l’intimité – et menace l’intégrité même. 

Mener, dans ce contexte, une réflexion sur les vêtements est porteur d’une signification forte. Car le vêtement est tout à la fois ce qui cache notre nudité et ce qui révèle nos goûts et notre personnalité.  C’est aussi – comme le suggère le mot « tenue » – ce qui nous tient et nous soutient dans notre identité singulière. C’est enfin – comme le rappelle le mot « habit » – ce qui nous permet d’habiter le monde, de nous y inscrire et de nous y épanouir, c’est tout à la fois ce qui nous protège et ce qui nous expose au regard des autres. Loin d’une question superficielle, c’est ainsi un sujet essentiel, qui nous ramène en effet « du paraître à l’être ».  

En écho aux trois citations proposées, il me semble que le vêtement, la tenue, l’habit, dans cette épreuve intégrale en quoi consiste le cancer, pourraient être envisagés – dès lors qu’on leur accorde toute l’importance qu’ils méritent – comme un « pare-être ». Le vêtement dans lequel je me sens bien, la tenue qui me correspond, l’habit qui se démarque par ses qualités esthétiques, tout cela me permet de continuer à être. C’est un « pare-être » parce que cela me protège (comme un paravalanche), sans me retrancher du monde ; mais aussi parce que cela me permet de continuer à me projeter dans le futur (comme lorsqu’on dit que l’on est paré à toute éventualité) ; et parce que c’est une parure, une mise en valeur de soi, un hommage à soi-même et aux autres, et parce que la beauté est une promesse de bonheur, ici adressée en dépit de toutes les difficultés occasionnées par la maladie.

« Nous ne sommes pas nous-mêmes lorsque la nature, opprimée, commande à l’esprit de souffrir avec le corps. »

William Shakespeare

Docteur Christelle Dufour

Pédiatre oncologue, 

Cheffe du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent Gustave Roussy

Cancer et enfant. Difficile d’associer ces deux mots … Et pourtant, 2500 enfants et adolescents sont touchés chaque année en France. 

La vie bascule lorsque le mot Cancer ou Tumeur est prononcé tant pour l’enfant ou l’adolescent que ses proches avec un quotidien rythmé par les traitements, les hospitalisations, les consultations… 

La maladie et les traitements bouleversent profondément ces jeunes enfants et adolescents tant sur le plan physiologique (perte de cheveux, perte de poids excessive…), social (isolement) et psychologique (image corporelle, estime de soi…). Un véritable changement corporel s’opère.

Dans le Département de Cancérologie de l’Enfant et de l’Adolescent de Gustave Roussy, l’accompagnement psycho-social de ces enfants et adolescents est tout aussi important que la prise en charge médicale : mieux vivre la maladie pour « guérir mieux ».  Le prendre soin prend toute sa mesure…. Prendre soin de son corps, de son image corporelle, cultiver l’estime de soi sont essentiels pour faire face aux changements corporels comme le souligne Françoise Dolto : « Pour l’être humain, les altérations du schéma corporel ne sont psychiquement supportables que si son narcissisme est sauvegardé ». Le projet innovant « Bulle de Mode » vient étayer les ateliers proposés dans le cadre du programme AGORA pour les adolescents (« Bien dans son corps et sa tête », « Quand mon cœur fait boum » )ou le programme Comète pour les plus jeunes (ateliers de groupe d’entraînement aux habilités sociales, estime de soi). Ainsi, « Bulle de mode » permet à chaque patient de préserver au mieux leur identité, de se sentir soi dans leur corps, d‘exprimer leur beauté en adaptant / customisant leurs vêtements. Le vêtement au-delà de l’accessoire, du paraître devient soin.

« A l’annonce du mot «cancer» se brisent des ailes du désir, et l’esprit se noie dans un abîme sans fond, tandis que le corps est précipité dans l’horreur de la chute: tomber cancéreux , c’est «tomber mourir»  dans un univers déchaîné (…) c’est éclater en mille morceaux cancérisés, métastasés dans un océan d’indifférence alors que le monde réel continue imperturbablement de tourner » 

Danièle Deschamps 

Cette exposition de photographies et témoignages est une ode à la vie en tant qu’Être au cours de la vulnérabilité de celle-ci. Elle se présente à vous en lien avec l’art, le beau et le réel afin de trouver des ressources, se transformer et « faire société ».

Aujourd’hui dans une société de la performance et de l’innovation où le paraitre a malheureusement trop souvent plus d’importance que l’être, l’image du corps et son altération constituent un problème crucial dans toutes les pathologies impactant notre image, ici plus particulièrement en oncologie tant pour les patients, les familles que pour les équipes soignantes.

« Être » signifie par essence être dans le monde, et être dans le monde signifie non seulement faire partie du monde mais être perçu en tant que tel et percevoir soi-même.

Ces témoignages dévoilent le regard parfois fébrile et invisibilisé de nos enfants, adolescents, jeunes adultes et familles dans un écosystème d’adultes emprunts par leurs propres représentations face au cancer. 

Selon l’Institut national du Cancer, le cancer de l’enfant concerne plus de 2500 enfants dont 450 nouveaux cas chez les adolescents de 15 à 17 ans. Et malgré l’innovation thérapeutique grandissante encore 1 enfant sur 5 ne survivra pas.

À ce jour 80 % guériront avec différents impacts et séquelles liés à leur cancer mais aussi aux effets secondaires des traitements.

Notre expérience du cancer de l’enfant, celle de nombreuses familles, hôpitaux, chercheurs, soignants, associations, rapportent ce même constat : 100% des familles sont impactées dans différentes sphères  : psychologique, physique, financière, sociale, éducative, professionnelle.

C’est pourquoi depuis 2 ans en lien avec les équipes pluridisciplinaires de Gustave Roussy, 1er centre de lutte contre le cancer en Europe et 3ème mondial, nous collaborons sur l’amélioration de la qualité de vie des enfants, de l’accompagnement de leur famille afin de « vivre mieux » le parcours de soins. 

C’est à travers les actions modes et bien être au bénéfice du soin organisées à l’hôpital que nous avons fait le choix de penser et panser les corps altérés du cancer, ensemble.

Les traitements peuvent entrainer des modifications du corps, il peut donc être encore plus difficile d’entendre cette demande pourtant classique en début de consultation : «Déshabillez-vous».

Un des objectifs des journées Bulle de Mode est de participer à préserver la dignité, l’estime de soi pendant et après les traitements en tentant de maintenir et ou faciliter le « retour à la vie normale », ces projets favorisent les liens humains en restant acteur singulier de son chemin.

Depuis 2021, les journées « Bulles de Mode » ont élu domicile à l’hôpital, au nombre de 6 dans l’année. Nous avons pu mobiliser 36 couturières, 2 stylistes, 2 make up artistes, 1 photographe, 2 conseillères en image. 1500 dons de vêtements et accessoires ont  été réalisés au proffit de 217 familles ainsi que du service de l’hôpital et 182 adaptations ont été effectuées.

Il est vrai que le vêtement nous accompagne chaque jour tel un « baume » dans nos vies de soignants, parents et enfants. Lorsqu’il est bien adapté à nos formes et nos envies nous pouvons nous sentir mieux, plus dignes et plus performants.

Simplement, lorsque tout bascule, que la maladie et les traitements vous impactent financièrement et physiquement, le vêtement peut également devenir une source de stress.

Comment trouver des vêtements esthétiques, confortables et compatibles avec les soins? Comment ajuster sans cesse une garde-robe à une prise ou perte de poids massive et brutale provoquée par les traitements ?  Comment respecter le corps et la pudeur de chacun ?

D’un autre côté il y a une  industrie de la mode encore trop peu mobilisée pour créer des vêtements inclusifs, qui draine des millions d’invendus et fragilise notre écosystème environnemental. Comment éviter ce gâchis ? Comment rendre chacun acteur d’une mode réellement inclusive ? 

Il y a également l’institution hospitalière perçue parfois comme déshumanisante où justement nous croisons toute l’humanité et le prendre « soin ».

C’est en essayant de répondre à ces questions que nous avons imaginé ce parcours multi acteurs en proposant l’accès à un magasin éphémère de vêtements issus essentiellement de dons d’entreprises, d’associations luttant contre le gaspillage.

Ceci est rendu possible grâce à un ensemble de partenaires (entreprises, soignants designers, hôpitaux, familles), tout en respectant une logique de responsabilité sociétale en permettant l’adaptation, en embellissant des vêtements choisis par l’enfant afin de répondre aux contraintes liées aux cancers pédiatriques ainsi qu’à leurs désirs.

Nous pouvons intervenir quel que soit le parcours de soin et/ou le stade de la maladie en répondant à un besoin singulier tout en transmettant ce savoir-faire à travers des pas à pas simplifiés.

Tout cela, en complémentarité du travail pluridisciplinaire des équipes, permet de minimiser l’impact de la maladie, mieux apprivoiser le soin tout en tentant de préserver l’estime de soi, respecter la dignité, créer une alliance thérapeutique, garder le lien social, réduire l’impact financier. Ici le vêtement n’est plus un simple bien de consommation mais un créateur de lien entre différentes parties prenantes.

Ces acteurs se mettent en mouvement pour « créer » à partir de vêtements existants des pièces ajustées à des problématiques médicales liées aux cancers pédiatriques. Cela répond à un besoin des patients et leur famille, donne du sens aux salariés de ces entreprises, aide nos soignants et soulage notre planète. Ce projet a un impact majeur et est donc vertueux pour l’ensemble des maillons de la chaîne.

C’est donc tout naturellement que la photographie accompagne ces ateliers mode et trouve une place singulière à leurs côtés.

En 2022, nous avons installé au cœur du département de cancérologie de l’enfant et de l’adolescent de Gustave Roussy un véritable studio éphémère. 143 personnes ont pu participer à ces 2 shootings extraORdinaires (en septembre en écho à Septembre en OR, mois de sensibilisation au cancer de l’enfant, et en décembre autour de Noël). 

Ici, la séance photographique est proposée comme une expérience
amusante, légère et vivante : un souvenir à construire ensemble. Elle peut être vécue avec des membres de la famille, des amis de l’enfant, si cela l’aide à se sentir entouré. On l’encourage à être acteur de sa séance en participant à son élaboration à travers le choix d’un maquillage, d’un vêtement, d’accessoires qui lui plaisent.

Les parents et les soignants vivent également des moments intenses et difficiles à travers la maladie des enfants. Ils donnent beaucoup d’eux-mêmes, puisent dans leurs ressources physiques et émotionnelles. 

La séance photo est avant tout un moment suspendu de plaisir et de partage pour faire une pause dans un quotidien parfois émotionnellement difficile. 

Peu importe qui nous sommes nous avons tous le pouvoir de prendre soin les uns des autres. 

Nous poursuivons ainsi la volonté d’ Élise de partager et de transmettre en répondant à des besoins que nous avons connus pendant ses années de traitements.

Cette exposition et ce catalogue tentent de retranscrire toute la bienveillance et l’humanité autour de ces projets complémentaires. 

Vous retrouverez dans ces pages une sélection de photos réalisées pendant les shootings extraORdinaires illustrées de quelques témoignages écrits par des enfants, des familles, et des membres du personnel de Gustave Roussy. Nous espérons que leurs mots vous permettront de mieux appréhender nos actions et qu’ils vous toucheront autant qu’ils nous ont touchés. Nous profitons de ces quelques mots pour remercier une nouvelle fois l’ensemble des intervenants.